Dans cet écrit, il est fait référence à la nouvelle traduction
d'Hippolyte d'Euripide
par Fred Bibel.
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Par hommage aux malheurs d’Hippolyte, la femme du maraîcher a prévu un
bon gîte avant (pattes antérieures) de bœuf, mijoté à la bière
artisanale, celle de là-haut, pour agrémenter une platée de choux de
bruxelles (eau bouillante — laisser reprendre l’ébullition, égoutter
avant de faire bouillir un quart-d’heure dans de l’eau un peu salée, à
égoutter soigneusement, on peut ajouter un bout de pain rassis pour
dissiper les odeurs fortes) à la graisse de canard. On gardera le plus
gros du bouillon pour des nouilles (à la bière) le reste sera versé
dans des saucières.
Que dire ? Tout particulier passé par le lycée n’ignore
rien de l’amour qu’Aphrodite a inspiré à Phèdre pour Hippolyte, le
magnifique bâtard de Thésée. Euripide a commis deux Hippolyte,
le premier plus raide que le second où l’on insiste sur la
responsabilité d’Aphrodite, et la fierté de Phèdre qui préfère mourir
plutôt que de se résoudre à un aveu. Il faut l’intervention d’une
abominable nourrice, qui s’empresse de jouer les entremetteuses pour
sauver sa maîtresse. Aucun aveu direct. La violence même d’Hippolyte
quand la nourrice lui explique ce qu’il en est — il gueule si fort
quand l’a sans doute entendu dans tout Trézène — la blesse au point
qu’elle se pend en laissant une tablette qui accuse le discourtois de
l’avoir forcée. En gros, c’est en ignorant Aphrodite (la plus infâme
des déesses) et en se montrant écœuré par une proposition qu’il juge
immonde, qu’Hippolyte provoque la colère de sa marâtre, la rage de son
père, et l’intervention d’un taureau marin. Toutes les traditions,
depuis Joseph et la Putiphar, insistent sur le dévorant appétit des
dames un peu mûres, cela va de la Bible à Renée dans La Curée de Zola, et d’autres.
L’époux de la maraîchère a commis deux sonnets, l’un sur
Phèdre :
L’on se fait
des idées Cypris en est coupable
Sur un fond de verdure un chasseur est passé
Il suivait une meute et sa proie harassée
Il y avait des poulains galopant sur le sable
Le rideau s’est levé là commence la fable
Il adore Artémis qui ne saurait aimer
Elle est fille de roi l’épouse de Thésée
Elle n’est plus très jeune il est inabordable
Cruelle destinée l’on monte son théâtre
Les trois coups sont frappés l’héroïne se meurt
Voulant de son amour en finir à son heure
Il est beau de mourir comme un beau feu dans l’âtre
Une vieille nourrice au cœur trop diligent
Vient offrir à la pièce un méchant dénouement
L’autre sur Hippolyte :
Hippolyte
est un bloc de chair immaculée
Sous les ombres touffues auprès des temples clairs
Il ne pourra s’offrir qu’aux brises de la mer
Aphrodite est trop douce il ne saurait aimer
Il insulte et vomit la déesse froissée
Quand il voit son autel pourquoi ne pas se taire
Il pourrait l’ignorer qu’est-ce que ça peut faire
Chez les dieux que l’amour soit aussi révéré.
Être sollicité par une entremetteuse
Sa marâtre se meurt de l’avoir trop aimé
L’idée d’une matrone auprès de lui pâmée
Sa rude intégrité sali par une gueuse
Ce qu’il a de plus cher en un moment souillé
Reste un taureau marin pour mieux le déchirer
Fred Caulan applaudit la capacité du poète à laver les
tragédies de tout tragique. Il peut se hisser à l’occasion jusqu’à la
mélancolie, mais son naturel badin a vite fait de reprendre le dessus.
La femme du maraîcher a épluché la notice, comme
font les étudiants sérieux avant de lire la pièce. Ls premiers
spectateurs ne disposaient ni de notice ni de programme où le metteur
en scène justifie ses partis pris avant que l’on voie le résultat de
son travail. D’après Fred Caulan, on devrait distribuer les programmes
à la fin.
Dans sa première version, Euripide offre une immonde
paillasse prête à tout pour assouvir un accès de lubricité, y compris à
avouer son amour à son beau-fils. Le vierge, outré, se voilait la face.
Il n’était pas assez vivace pour répondre aux assauts d’une vieille
belle, sa belle-mère de surcroît. L’on ne sait si Sénèque a inventé
l’épée que le vertueux lève pour en frapper la royale gourgandine,
avant de la lâcher, dégoûté. En tout cas, les Athéniens auraient
été écœurés par cette version. Sophocle aurait présenté une
Phèdre plus sortable, entre les deux Hippolyte.
Le second en rabat en montrant une Phèdre plutôt digne, qui aurait
préféré mourir discrètement de son amour, avant que la nourrice la
harcèle.
Racine, puis Rameau, profitent du fait qu’Hippolyte était
adoré à Aricie, comme à Trézène, pour créer un personnage qui affadit
un peu la pièce. Un amant platonique, c’est plus joli qu’un puceau
intraitable.
Lucie Biline fait le petit exposé mythologique qui
assouplit les angles. Minos a gagné le droit de régner seul sur la
Crète, quoi qu’en aient ses frères, en prétendant avoir les dieux dans
sa poche. Pour le leur prouver, il demanda à Poséidon de faire sortir
un taureau de la mer, à charge pour lui de le sacrifier (le dieu de la
mer a tout un arsenal de taureaux marins qu’il tient à la disposition
de ceux qu’il veut obliger). Au lieu de le sacrifier, il le garde.
Poséidon n’a aucun mal à rendre l’animal enragé, et l’on sait ce que
peut faire un taureau marin fumasse. Fils de Zeus et d’Europe, il
épouse Pasiphaé, fille du Soleil et de Perséis. Que l’épouse de Minos
ait négligé de faire des sacrifices à Aphrodite, ou que celle-ci ait
voulu se venger d’Hélios qui a révélé à Héphaïstos ses amours avec
Arès, elle tombe raide dingue du taureau, et demande à Dédale de lui
bricoler une vache où elle s’enfermera, pour exciter la bête, qui lui
fait le Minotaure. Le Minotaure boulotte régulièrement, au fond d’un
labyrinthe conçu lui aussi par Dédale, sept jeunes Athéniens et sept
jeunes Athéniennes, jusqu’à ce que Thésée lui fasse passer le goût de
la chair humaine. Il a été aidé par Ariane (le fameux fil) une fille du
roi qu’il a séduite, qu’il emmène avec lui, abandonne à Naxos, où elle
ne meurt pas comme le dit Racine, vu que Dionysios passait par là, et
qu’elle va vivre avec lui dans l’Olympe. Il faudra confier à Héraclès
le soin d’expédier le taureau priapique. Allusion fugitive dans la
pièce à une malédiction congénitale. Avant d’épouser Phèdre, la sœur
d’Ariane, Thésée s’est fait la main en nettoyant les chemins de
quelques brigands qui l’infestaient, entre autres Sinis et Sciron dans
l’isthme de Corinthe, dont certains lieux portent le nom. Voir la
description de la mort d’Hippolyte. Pithée, souvent invoqué, est le
grand-père de Thésée. On a vu dans Médée
comment cet hôte indélicat a drogué Égée pour le faire coucher avec sa
fille Aethra. Si la jeune fille est allée, comme on dit, rêvasser sur
la plage de Trézène, le vrai père serait Poséidon. Hippolyte est
le fils d’une Amazone que Thésée aurait séduite au passage. Si l’on ne
débrouille pas ce sac de nœuds on ne peut comprendre certaines
allusions. Mais la pièce elle-même commence avec Phèdre prête à
mourir d’amour, et s’achève quand Hippolyte est traîné, mourant, devant
son père. Aphrodite se charge de l’exposition, en se contentant
d’expliquer comment elle va châtier Hippolyte en lui balançant une
Phèdre amoureuse dans les pattes. Un beau carambolage qui ne peut
réussir que si chacun suit sa pente. Phèdre a une nourrice. Artémis
apparaît avant la fin pour démonter la trame devant le père un peu trop
prompt à réagir, étant bien entendu qu’une divinité ne peut pas
contrecarrer les actions d’une autre. Mais rien ne lui interdit de
frapper un chéri d’Aphrodite, qui ne peut être qu’Adonis. Des
savantasses ont fait remarquer qu’Adonis a été tué par un sanglier, en
oubliant que les jeunes gens fauchés à la fleur de l’âge, mouraient
selon d’aucuns des flèches d’Artémis ou d’Apollon selon le sexe.
Isabelle Higère s’étonne qu’une femme qui s’abandonne
devienne une criminelle, si cela ne se fait pas dans les règles. Les
temps sont beaucoup moins difficiles, bien qu’il reste beaucoup à
faire. Mais elle reconnaît qu’il est vain de juger les règles de vie
des autres civilisations. À chacun sa porte et son balai. Laissons les
peuples écraser les femmes comme ils l’entendent.
René Sance a été impressionné par des scènes qui relèvent
de la farce. L’esclandre d’Hippolyte quand la nourrice vient lui faire,
de la part de sa maîtresse, des propositions sales. Thésée, qui après
s’être réjoui de la façon dont est mort son fils, retrouve le sens des
convenances avant de réclamer qu’on lui amène le mort, pour mieux
l’accabler.
– C’est surtout une histoire de cadre, avance Nicolas
Siffe, celui où évoluent les personnages, devant le palais royal de
Trézène. D’un côté de la porte, se trouve une statue d’Aphrodite, avec
son autel, de l’autre, celle d’Artemis, avec son autel. Hippolyte est
le seul habitant de Trézène à tenir Aphrodite, pour la plus méchante
des déesses, et il le dit. Il ne rend ses respects qu’à Artémis. N’y
a-t-il pas là plus qu’un zeste de démesure ? Je crois que les anciens
s’inclinaient devant tous les dieux, avant que les chrétiens y mettent
bon ordre. Il faut révérer toutes les divinités, comme un bon musulman
doit vénérer toutes les sourates du Coran, sans y piocher comme dans un
supermarché. Ce jeune homme préfigure certains fous d’Allah, comme les
talibans du Christ qui renversaient les idoles. On comprend
qu’Aphrodite en soit froissée. Ne pouvant l’atteindre directement, elle
passe par la marâtre, en fignolant le cadre d’une première apparition.
Un auguste mystère servira de décor. Lui, ne fait qu’observer la
cérémonie, de la demeure de Pithée, Hippolyte domine la scène, elle ne
voit que lui. La machine est lancée…
Luc Taireux en pince pour Hippolyte :
– Un cas remarquable ! Que sa piété, sa probité, sa
rigueur, ses exercices de dressage sur la plage, et ses chasses
vertigineuses en compagnie d’Artemis lui vaillent l’estime de touts ses
camarades, cela se comprend. Ce qui m’intrigue c’est son exaspération
devant tout ce qui compromet, à ses yeux, l’harmonie du monde. Son
refus de reconnaître l’importance d’Aphrodite qui perpétue toutes les
espèces (d’où tiendrait-il ses poulains ? le chœur lui-même est
conscient que tous les animaux qui marchent, volent, ou nagent ne
pourraient exister sans elle, elle assure la subsistance des mortels au
même titre que Déméter) est presque maladif. Et quand je dis presque…
C’est effarant ! Tout ce qui dégrade nos cœurs est une atteinte à son
intégrité. C’est un paranoïaque heureux dans la mesure où il vit dans
une sorte bastion, avec des jeunes gens selon son cœur, les chevaux
qu’il entraîne, et une déesse définitivement vierge. Il ne peut ignorer
qu’il est le fils d’une Amazone qui a subi les béguins impérieux de son
père. Ce qui fait de lui un bâtard. Des confrères se précipiteraient
sur l’idée du bâtard irréprochable, de la souillure originelle dont il
émerge comme un iceberg dans une mer foisonnante d’algues et de bêtes.
Sa chasteté c’est son rocher, comme l’Éternel pour le psalmiste. La
malheur, c’est que cet idéal de pureté tourne à la manie. À vingt ans,
un trouble nouveau,
Sous le nom
d’amoureuses flammes,
M’a
fait trouver belles les femmes.
Phèdre, hélas, l’a trouvé beau. Il est vrai qu’une
belle-mère, qui frise les rives de la trentaine, c’est comme une
méduse sur une plage immaculée. Rousseau, qui ne voulait vivre qu’avec
des êtres selon son cœur, était raisonnablement obsédé, ce qui est
normal lorsqu’on souffre d’un priapisme embarrassant, et que l’on a de
la peine à retenir ses éjaculations. Hippolyte est à l’abri de tels
ennuis, il se veut à l’abri de tout. Ce qui n’aurait aucun
inconvénient, si le monde était à l’abri de lui. Toutes les Thébaïdes
s’effondrent. Il faut accepter le grignotage de la moisissure humaine.
Accepter de se rouler dans le bourbier commun. "Il est des nôtres…" Il
ne veut être qu’à Artémis, vivre avec les bêtes qu’il chasse ou qu’il
dresse. Origène n’a pas compris que la chasteté n’a plus de sens si
l’on s’émascule. Elle exige des êtres en pleine possession de leurs
moyens. Hippolyte est un privilégié dans la mesure où il a dressé des
barrières symboliques entre lui et ce qui clapote salement. Alors,
quand une nourrice entremetteuse vient lui verser ses petites
immondices au creux de l’oreille, après lui avoir fait jurer que rien
ne transpirera de leur petit entretien, on comprend l’altercation qui
s’ensuit, une altercation plus que révélatrice. Apparemment, le père,
dans la douleur du semi-inceste accompli, répète qu’il n’attendait pas
cela d’un enfant qui semblait lui reprocher ses propres écarts. Tout
s’explique, la réaction d’Hippolyte devant une proposition qu’il juge
dégradante, celle qui n’accepte pas qu’on la considère comme une
matrone folle de son corps, et le fait que, malgré les reproches de son
père, il ne revienne pas sur la parole donnée, ainsi que la jubilation
du dit père quand le messager lui décrit la façon dont ce fils indigne
est réduit en lambeaux par ses chevaux affolés. Son divin père n’était
pas plus heureux que ça de faire sortir un taureau d’une vague à
Trézène.
– Quand on songe, dit Claudie Férante, aux sentiments
d’Hippolyte dans la Phèdre de Racine… :
Je fuis, je
l’avouerai, cette jeune Aricie.
Au moins a-il conservé la volonté initiale de la marâtre
qui se croit veuve :
Soleil, je
te viens voir pour la dernière fois.
L’auteur reconnaît qu’il a suivi une route différente, dans sa
préface, quoiqu’il n’ait pas craché sur ce qui lui a semblé vraiment
éclatant dans la pièce… Il est trop bon ; il ne s’est pas gêné. Il a
pris à d’autres la déclaration de Phèdre à Hippolyte et l’épée dont se
sert vivacement le vierge pour résister aux assauts de cette goule, et
qu’il lâche pour ne pas la salir.
– Pourquoi faire à Racine un mauvais procès ? dit Isabelle
Higère. La dramaturgie est tout à fait différente, elle efface la
crudité d’un auteur pour donner libre cours à ses humeurs
élégiaques.
– Et à son sadisme feutré. Comme l’a dit Pradon : «Une
plume en tombant produit une tempête.»
– Dans quelle pièce ?
– Mon bisaïeul prêtait volontiers à Pradon les âneries qui
lui passaient par la tête. Un carabin de mes amis sortait, en quittant
ce lieu nécessaire aux gens les plus honnêtes, aux grands de toute
espèce ainsi qu’aux roturiers, « Confucius a dit : tu as beau te la
secouer, la dernière goutte est toujours pour le caleçon. » Il n’était
pas le seul à prêter à Confucius des maximes pour tous les usages.
– J’ai trouvé une édition originale de son Regulus à Paris sur les quais, dit
René Sance.
– Pourrez-vous nous l’apporter ?
– Mon petit-fils en a arraché quelques pages, une poubelle
jaune a reçu sa dépouille, il a été déchiqueté à la déchetterie.
Marie Verbch ouvre son parapluie devant cette averse de
vers blancs.
– Pour justifier le titre, après le prologue d’Aphrodite,
c’est, Hippolyte, sa cible qui apparaît. Pour attiser sa haine, il
commence par une belle offrande à Artémis, et reste sourd aux conseils
d’un vieux serviteur, qui l’invite à ne pas négliger l’autre déesse. Le
héros n’a encore droit qu’à un peu plus de cent vers. Puis c’est
Phèdre, précédée du chœur qui tient la scène, avec l’infâme nourrice,
même si elle entend les échos de la fracassante indignation
d’Hippolyte, jusqu’au vers 731, soit la moitié de la pièce. Le
spectateur la voit, entend ce qu’elle entend. Même avec un masque, je
fais confiance aux talents de l’acteur pour rendre sa détresse. J’ai
retenu dans les propos du malotru, qu’elle lira dorénavant dans son
regard tout le mépris dont il l’écrase. La décision de lui faire payer
ses propos d’autant plus insultants qu’elle voulait héroïquement mourir
sans rien dire, va de soi. On ne peut pas être toujours héroïque,
surtout devant un goujat. Pourquoi les personnages d’Euripide ne
tiennent-ils jamais compte du contexte (une proposition sale faite à un
être pur) ? Puisque c’est comme ça… Découverte du corps, arrivée de
Thésée, secrètement heureux, malgré sa douleur, de prendre sur le fait
un fils irréprochable qui n’admirait que ses exploits… Les insultes
dont il accable Hippolyte sont à la hauteur d’une rage longuement
retenue. Comment pourrait-il l’entendre ? Douleur contenue de l’autre,
qui ne peut réfuter les accusations de son père parce qu’il est tenu
par un serment. Il faut qu’une déesse revienne mettre les choses au
point quand il est trop tard. Ça ne peut se terminer que par une scène
de reconnaissance un peu tardive. Le fils indigne a déjà été traîné sur
un terrain inégal par des chevaux affolés. Poséidon était lui aussi
tenu par un serment. Cela donne un taureau marin, aussi monstrueux
qu’une vague scélérate.
– Les serments contraignants sont une épice nécessaire à
tout roman courtois, dit Nicolas Siffe.
– En fait, il n’y a que Phèdre, avant l’intervention de la
nourrice, et Hippolyte qui aient des principes, dit Fred Caulan. René
Girard vous expliquerait mieux que moi les réactions de Thésée devant
un fils trop parfait, pris enfin en faute. Pas besoin d’Aphrodite pour
comprendre la fascination de Phèdre pour un être hors d’atteinte. Ah !
Les blandices du désir mimétique, et du sacrifice fondateur ! Le fils
est secrètement tenté, selon notre divin maître, de tuer son père.
Thésée a enfin l’occasion de tuer un fils trop admirable. Euripide
n’est jamais monté à de telles hauteurs. Nous nous débattons tous dans
notre sac de peau, nous voulons tous parler et ne pouvons entendre.
Quand nous voudrions nous taire, on nous force à parler. Sors-nous ce
que tu as sur le cœur. Sur le wagon de tête d’un train conduisant des
pénitents italiens à Lourdes, on pouvait lire Direzione spirituale.
Il n’y a pas que des chefs de meute. C’est plus insinuant. À quoi
reconnaît-on un bon confident ? Il ne te dit pas fais quelque chose, ou
je vais t’arranger le coup — ce qui est tout le contraire d’un service
qu’on rend — il s’efforce de calmer le jeu. D’un côté la nourrice de
Phèdre, de l’autre, le vieux serviteur d’Hippolyte. Rage originelle de
ne pouvoir obtenir que nos paroles soient suivies d’effet. Il faut
apprendre aux enfants à se résigner, il en est qui ne se résignent
jamais. Euripide touille bien le fond, en observant la surface,
qui est épidermique par définition. Il va de soi, qu’il ne le fait pas
exprès, comme tout artiste qui se respecte.
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texte et
dessin René Biberfeld - 2015
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