Litterature header des traductions du grec


Sophocle

        EURIPIDE
Le Cyclope.................La Raison du plus faible
Alceste........................La Mort en ce Palais
Médée.........................Une Femme humiliée
Les Héraclides............Sans merci 
Hippolyte....................Les Malheurs de la Vertu
Andromaque...............La fillette à son papa
Hécube........................Cruautés publiques...
Héraclès......................Divines interférences
Les Suppliantes...........Le fossoyeur patriote
Ion................................L'enfant du miracle
Iphigénie en Tauride....La rectification
Electre.........................Un jeune homme providentiel
Les Troyennes.............Malheur aux vaincues
Hélène.........................La belle que revoilà
Les Phéniciennes........La mort en héritage
Oreste.........................Emportés par la foule
Les Bacchantes...........La fête à Dionysos
Iphigénie à Aulis.........La précaution inutile

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EMPORTÉS PAR LA FOULE


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MEnelas
MÉNÉLAS
J'aimerais le pouvoir avec l'aide des dieux (v. 686)

Dans cet écrit, il est fait référence à la nouvelle traduction d' Oreste d'Euripide par Fred Bibel.

   Le maraîcher n’a eu aucun mal à lire les tragiques en grec. Sa mémoire lui promettait un autre avenir. Il a préféré le sien. Chez lui, on fête le solstice d’hiver, sans s’inquiéter d’une nativité dont la date a été fixée a posteriori, ni de Jules, ni de Grégoire. Il soupe en famille, chez ses parents, comme l’ensemble des frères et des sœurs, et les marmots, les siens compris, avec sa dame, aux fêtes ordinaires. Il suit, sinon, le calendrier républicain qui ne tient compte que des saisons. Frimaire (il n’a pas fait très froid) cède la place à nivôse (il va peut-être neiger). Un volailler lui a offert deux canettes, un peu trop pour cinq personnes, mère-grand comprise, qui n’aime pas le gras. Ça fait beaucoup. Ce sont les philosophes du potager qui en profiteront. Des mendiants pour la farce, fruits secs pour recueillir le jus, beaucoup d’oignons, quelques carottes et peu de pruneaux afin d’avoir une conversation suivie. Une salade pour commencer, puis un mélange d’ananas, de mangue et de banane, avant le plat de résistance. Pas besoin de dessert. Juste du café du Guatemala, moulu à la demande, du thé de l’Himalaya, ou une tisane.
   Rares péripéties dans l’Oreste, le héros se contente de subir. Il va être lapidé par la foule, avec sa sœur ; après un vote dont on connaît le résultat. Il attend que Ménélas intervienne — l’oncle se défile, pour ne pas contrarier son beau-père — se prépare à mourir, jusqu’à l’inter-vention de Pylade qui lui suggère de tuer Hélène, l’épouse du lâcheur ; Électre s’avise alors que sa fille ferait une bonne monnaie d’échange.  Les dieux subtilisent Hélène à ses assassins, Apollon arrive lui-même à point pour sauver Hermione, apaiser la rage de Ménélas, et redistribuer les rôles.
       L’épouse du maraîcher soumet à Fred Caulan le dernier sonnet de son mari :
 
Le cadavre tout frais de Clytemnestre attend
Qu’on lui prodigue enfin les attentions d’usage
Et le peuple d’Argos pris d’une étranger rage
Veut lapider ses deux enfants en même temps

Un prince une princesse on passe un bon moment
Ménélas pourrait faire pencher les suffrages
Mais Tyndare survient il change de langage
Montrant qu’il est une outre ouverte à tous les vents

Il n’y a plus alors qu’à tuer sa catin
Qui trouve le moyen de s’éclipser en douce
Tandis qu’Hermione arrive et vient à la rescousse

Distrayant les furieux qui sont déjà en train
Cela fera quand même un excellent otage
Apollon apparaît on goûte le trucage.



   — Malherbe conseillait le langage bas des harengères polies, dit Fred Caulan, on ne saurait faire mieux.
   La femme du maraîcher présente Oreste comme une suite logique d’Électre. Les Dioscures ont bien précisé que les citoyens d’Argos se chargeront du cadavre d’Égisthe, Hélène et Ménélas de celui de Clytemnestre. Entre-temps les partisans des deux morts ont excité la foule contre les meurtriers qui seront lapidés après un procès vite expédié. Ménélas ne doit pas trouver bon que l’on traite ainsi son neveu et sa nièce qui n’ont fait que venger leur père. Il les défend du bout des lèvres devant le père de la défunte, mais se ravise quand celui-ci le menace de le faire tricard à Sparte si justice n’est pas faite. D’où les réactions des condamnés à qui Pylade, l’ami fidèle, redonne du cœur au ventre. Le cœur au ventre cela revient à tuer Hélène, que Ménélas comprenne, et de prendre Hermione en otage. Apollon apparaît avant que l’on sache si le pleutre consent à sacrifier sa fille pour garder le pouvoir à Sparte.
   Isabelle Higère émet l’idée qu’Oreste est la tête à claques de toute cette histoire. Ses sœurs prennent les choses en mains, l’une en Tauride, l’autre à Argos, Pylade étant là pour pousser son ami au cul.  Ménélas annonce Falstaff : prêt, ailleurs, à tuer une esclave et son enfant, il fait très bien le mort en Égypte. Dès qu’on parle un peu fort, il se dégonfle, et ne voit pas pourquoi l’on veut tuer Hélène et trancher le gorge à sa fille… Grande gueule et pauvre type. Et la façon dont on passe, à la fin, du sanglant pathos à Labiche… Tout le monde se congratule, Embrassons-nous Folleville.
   Un ange passe… qu’y-a-t-il à dire après ça ?
   Que le frère et la sœur sont de vrais putois, à en croire Nicolas Siffe. Ils ont déjà tiré partie du sens de l’hospitalité d’Égisthe et des attentions de Clytemnestre, pour les tuer tous les deux. Hélène qui demande de leurs nouvelles, est assez confiante pour demander à Électre  de se charger, à sa place, des libations sur le tombeau de sa tante, vu qu’elle pourrait  se faire malmener par des endeuillés. Si elle n’avait pas été prête à intercéder en faveur des condamnés, jamais ils n’auraient pu s’approcher d’elle. Ces petits salopards sont prêts à tuer quatre personnes en deux jours. Pour éviter le massacre, Apollon subtilise Hélène à ses assassins, puis intervient avant qu’Hermione se fasse égorger devant son père qui campe sur ses position. Faute d’être courageux, il sera têtu.
   Claudie Férante est choquée par la façon dont Électre encourage son frère et Pylade à égorger Hélène : Crevez-la, tuez-la…allez-y à fond… Une vraie mégère… On pleurniche quand on va mourir, puis on excite les autres à tuer. Dans la pièce qui porte son nom, il lui fallait tenir la main de son frère au moment fatal. Il est de plus nobles colères : Voir le dernier Romain à son dernier soupir, Moi seule en être cause et mourir de plaisir … Il ne s’agit là que de trancher la gorge à une tante qui ne lui a rien fait, ainsi qu’à une cousine qui n’en peut mais pour désespérer un oncle qui ne veut rien céder.
   Elle s’arrête… comme si elle voulait regrettait de s’être montrée aussi catégorique. Elle reprend, son Budé à la main :
  — Il faut quand même tenir compte de l’état des condamnés. L’on voit, au début, Électre au chevet d’Oreste enfin endormi. Quand Hélène arrive pour lui demander de se rendre à sa place au tombeau de Clytemestre, Électre la prie d’y envoyer plutôt Hermione, elle ne peut abandonner son frère qui a une mine à faire peur. Oreste se réveille au vers 211, il faut l’essuyer, le redresser, jusqu’au vers 240 où il apprend l’arrivée de Ménélas… Euripide croit utile de montrer un de ses accès de folie — cela fait partie du cahier des charges — on abandonne Oreste assis sur son grabat improvisé — la planche de salut, soigneusement savonnée, fait son entrée au vers 356, que la fête commence —  Tout ce qu’Oreste trouve, c’est d’accepter de se donner la mort, comme sa sœur, avant la nuit tombée. Le sursaut providentiel, grâce à l’intervention de Pylade, les met dans un état second, proche de l’allégresse, plus ils feront de dégâts, plus ils seront contents. Cerise sur le gâteau, la fille du lâcheur qu’on peut égorger sous ses yeux. On comprend mal l’absurde entêtement de Ménélas, si l’on ne voit pas qu’il est lui-même dans un état second. Apollon arrive comme un infirmier qui n’a pas besoin de mettre des bigoudis à ses patients. Pour égayer le public, Oreste et Électre qui tournent en rond, Pylade qui doit longtemps expliquer, le Phrygien qui ne veut pas mourir, et parle comme un Sganarelle,. Quand tout s’arrange, on est prêt à avaler toutes les couleuvres. Il voulait l’égorger, je lui donne sa main, ils sont du même monde. Il ne manque que la musique d’Offenbach.
   C’est plaisant de voir l’actrice de jadis réfuter ses propres arguments. Au moins se souvient-elle de ses expériences.
   Marie Verbch rappelle que la pièce a fait un tabac, et que les romains la portaient aux nues. Quelques modernes la jugent faible, et s’étonnent. Elle ajoute que l’on ne peut traduire exactement les considérations sur les guerres que les dieux bricolent afin de pratiquer des coupes claires sur la population. Euripide parle de trop plein inépuisable, et emploie le terme hybrisma, dérivé de l’hybris pour exprimer la violence que les hommes infligent à la terre. On en voit les résultats. Les guerres font de nos jours assez de dégâts sur notre écosystème, il est difficile de les considérer comme une solution.
    Luc Taireux est troublé par un autre détail. En général, on se trouve des circonstances atténuantes après un crime. Oreste, Électre et Pylade les trouvent pendant.
   Ce qui intéresse Fred Caulan, c’est l’effet d’une foule hors champ sur les personnages. Ménélas n’ose l’affronter, Tyndare lui fournit un bon prétexte. Pour la populace, il faut en finir avec les Atrides. Clytemnestre a donné le coup d’envoi en expédiant son mari, Oreste, sur la lancée, tue sa mère et le coquin d’icelle. Électre a voulu en être, elle a harcelé son frère, normal qu’elle lui tienne la main. Pas besoin d’invoquer les fidèles d’Égisthe, et le frère de Palamède. Ménélas pourrait tout arranger, il est trop veule et devient un autre bouc émissaire pour son neveu, sa nièce et Pylade, qui ne trouvent rien d’autre que de s’en prendre à sa femme et à sa fille. Un micro-tourbillon dans un grand tourbillon. Ménélas ne peut que laisser égorger Hermione, il ne contrôle plus rien. Les divinités sont faites pour apaiser ces tempêtes. Le deus ex machina ira dire à la foule que c’est lui, le responsable. Essayez donc de vous en prendre à Apollon… Les dieux ramenaient l’embellie. Les monothéistes sèment le vent et récoltent la tempête.
   L’on salue en silence cet hommage à un penseur récemment disparu.


cc
Texte et dessin René Biberfeld - 2016

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