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Le cycle de Jocelyn

II. La commode





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commode
   Cette commode n'a existé que dans l'un de mes romans, publié juste avant la naissance de Jocelyn. Il n'y avait aucune raison qu'elle refît surface.
   Je ne reviens jamais sur ce que j'ai fait paraître. Texte publié, contrat rempli, affaire classée. J'en sors un tous les trois ans, du cousu main. Je n'ai jamais travaillé sur commande, ni jamais pris d'engagement avec mon éditeur. Je ne livre que le produit fini. Qui s'écoule à merveille, c'est tout ce qu'il demande. Il s'inquiète parfois de mes projets. Et il sait que je ne répondrai pas. Présenter un projet, cela revient à devenir son propre nègre. Je veux bien assurer la promotion sur des plateaux, bien que je sois convaincu que cette activité n'a rien de littéraire. Et je refuse toute avance, je touche ma part quand l'éditeur a prélevé la sienne. Un arrangement qui nous convient. Il ne se passe pas de jour sans que j'écrive, ou sans que je revienne sur le métier, tous les trois ans au peu près, le livre arrive sur le bureau de l'éditeur.
   Mathilde Nebelstein a commencé à prendre quelque consistance quand elle nous a signifié son congé. L'expression a de quoi surprendre. Elle estimait sans doute, comme moi avec mes livres, qu'il arrive un moment où rien de ce que l'on pourrait faire n'apportera quoi que ce soit à personne.
   Quant à cette histoire de consistance, c'est que jusque là je n'arrivais pas à l'introduire dans le monde de mes fictions. Ce qui me fournit la pâte, ce sont les gens et les situations. Un mot en l'air, un bout de conversation, je ne laisse rien passer. Parfois l'on peut s'y reconnaître, malgré les décalages spatiaux, temporels, ou spatiaux-temporels (je ne crache pas sur l'anticipation) qui donnent du sel à la chose. On fait sa petite cuisine, puis l'on jette les épluchures, on laisse mijoter le temps qu'il faut. Alice m'a un jour traité de vampire. L'accusation ne tient pas. Je ne prélève pas ma livre de chair, pas même une goutte de sang.
   Je ne sais comment elle envisage son métier, cette Mathilde Nebelstein. Peut-être consiste-t-il à vérifier que toutes les pièces sont sur l'échiquier, sur les bonnes cases, que la partie peut commencer, une précaution que l'on ne prend pas avec le vulgaire, qui ne demande qu'à entrer dans la société de ses semblables, ce qui n'était pas le cas de Jocelyn, qui s'y est refusé dès sa naissance, puis a montré d'étonnantes dispositions pour désarmer tout travail d'approche. Une fois les pièces disposées comme il faut, mazette ou champion, c'est à toi de jouer. Mathilde Nebelstein est parvenue à lui expliquer les règles, sans lui inspirer pour cela le désir d'entrer dans la partie. Un accordeur de pianos ne va pas s'asseoir devant le clavier pour exécuter un impromptu. Nous sommes nos propres instrumentistes. Si tu es infichu de te débrouiller avec toi-même, on ne peut plus grand'chose pour toi.
   Les remarques que lâche de plus en plus souvent Jocelyn, démontrent qu'il ne se contente plus de recopier des articles de dictionnaire en reproduisant la typographie. Un palier a sans doute été franchi. Mais il n'y a eu aucun déclic. Mathilde Nebelstein s'est simplement assurée qu'elle avait levé les obstacles qui l'empêchaient de se produire. Le résultat des courses, c'est comme l'éducation et l'enseignement : il n'y a pas de service après-vente. Jocelyn a fait tant de progrès avec elle qu'il a pu se convaincre qu'il en avait assez fait.
   Je n'arrivais pas à enrôler Mathilde Nebelstein dans mon univers si peu imaginaire. Ça m'agaçait. Je suis allé jusqu'à les observer tous les deux sur nos écrans. Jocelyn ne pouvait échapper à notre vigilance. Quand il y avait quelqu'un pour s'occuper de lui, ou l'un de nous, c'était un principe, nous ne regardions pas. J'ai dérogé à ce principe. Et je n'ai pas été déçu. C'était impressionnant, ces deux êtres, unis et séparés par un tas de dictionnaires, qui était leur seul outil de communication. Leurs regards ne se croisaient que par hasard, la thérapeute avait lavé sa voix de toute émotion comme de tout ce qui est fait pour capter l'attention. Une remarquable performance. Ils prenaient des mots dont Jocelyn recopiait les définitions et les exemples. De proche en proche, c'était comme des portes qui s'ouvraient. J'ai regretté de ne pas être un dramaturge ou un cinéaste. Le spectacle avait de quoi retenir l'attention. Je n'ai pas résisté à la tentation de faire des enregistrements, que je conserve dans des cartons entreposés dans un grenier où nous ne mettons jamais les pieds. Je n'ose les montrer à Alice, pour plusieurs raisons. Elle trouvera cet espionnage inconvenant, l'opératrice sera consternée par les cadrages misérables, et je ne crois pas que je ferai naître en elle une vocation de monteuse.
   Mathilde Nebelstein, mes enregistrements le prouvent, a accompli un travail remarquable, elle nous rend une mécanique qui tourne apparemment sans à-coups. J'ai l'impression d'être entré en possession d'une montre molle qui donnerait l'heure. Elle a fait d'un autiste mal dégrossi un autiste en parfait état de marche. Utiliser les limites mêmes de son patient pour élargir son horizon, il fallait y penser.
    Je ne sais pas à quoi je pensais quand je me suis lancé dans le récit de mes premières années avec Jocelyn, moi qui invente des histoires. Ses repères mécaniques, son détachement ombrageux, le fait même qu'il soit devenu propre et à peu près autonome plus vite que son frère et que sa soeur, qu'il ait vite appris à se laver lui-même pour échapper à toute manipulation étrangère, ne manquait pas de m'impressionner, comme ses gestes décalés, ses cadences verbales un peu cassées. Il fallait changer les draps en son absence, il s'y accrochait sinon, et la découverte (je préfère cette expression méridionale à notre plat rabat) devait avoir exactement la longueur de mon avant-bras, comme à l'armée. Je me suis contenté de dire ce que je voyais, sans parvenir à éviter de devenir un personnage, celui de l'observateur jamais mentionné, qui se trouve être également le père, et prend, à son insu, une épaisseur incongrue. L'absence même du personnage créait une tension d'autant plus grande qu'on ne pouvait ignorer le lien entre le héros et lui. La critique a évoqué Marcel Aymé et Kafka, pourquoi pas Dreyer et Keaton? J'ai souri .
   Avant de partir, Mathilde Nebelstein ne proposait donc aucun personnage sortable. Elle se dérobait à la phrase et décourageait l'argument.
   Non qu'elle fût insignifiante. C'est une femme gracile et avenante, sans qu'il y ait chez elle quoi que ce soit de fragile ou qu'elle puisse encourager de secrètes connivences. Elle est sans âge dans la mesure où sa relative jeunesse n'exclut pas une maturité qui semble aller de soi. On devine qu'elle restera fraîche jusqu'au tombeau. Visiblement bien faite, sans la moindre coquetterie ni la moindre gêne, elle n'encourage pas la rêvasserie sensuelle. Je me suis efforcé de me mettre dans la peau d'un homme à bonnes fortunes, j'étais moi-même trop indolent pour les collectionner, j'ai bien été forcé de constater qu'elle ne fait pas partie du cheptel disponible, bien qu'elle ne crache pas, de toute évidence, sur les bonnes choses. Disons qu'elle ne prend en compte que ses propres désirs. Elle a dû trouver pantoufle à son pied, et offrir à la dite pantoufle la perspective d'une existence sans vaine angoisse. Elle est efficace dans la mesure où elle s'adapte parfaitement aux règles implicites de la communication en tenant compte des acteurs présents. Elle ne doit jamais détonner, si je puis me permettre cet à-peu-près, parce qu'elle a les oreilles trop sensibles pour endurer patiemment la moindre détonation. Je serais heureux de la voir officier avec des furieux. Ça a dû lui arriver un jour ou l'autre. Non pour la voir dans l'embarras, que pour comprendre comment elle arrive à neutraliser certains patients. Elle tient naturellement compte de nos troubles mentaux anodins et désamorce tout conflit potentiel. À croire qu'elle exerce vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elle est entrée sans peine dans l'univers de Jocelyn, pour faire l'état des lieux avant de lui suggérer des aménagements plus fonctionnels. Ne serait-ce que pour lui procurer les moyens d'entrer en contact avec le reste de l'humanité si telle était sa condition. Dans le cas contraire, il disposera d'un fond plus riche que la plupart de ses contemporains, ce qui n'est pas négligeable. Un programme à la fois ambitieux et modeste.
   Le soupçon m'a effleuré qu'étant parfaitement au courant de la présence des caméras elle nous suggérait de nouvelles procédures, que sa déontologie personnelle l'empêchait de tenter. Et je la comprends. Je ne me sens pas la force de laisser traîner à la portée de Jocelyn le Vocabulaire Européen des Philosophe de la maison Robert & Cie, où l'on fait un sort aux vocables intraduisibles parce qu'ils expriment des sentiments dont on peine à tenir compte ailleurs. Il possède sûrement un vocabulaire assez étendu pour relever toutes ces nuances. Et ce n'est pas sans danger que je lui proposerais des dictionnaires de la langue classique ou de moyen-français, voire des dialectes romans de langue d'oïl et d'oc. Il serait foutu de commencer une phrase comme Chrétien de Troyes et de la terminer comme Céline. Avec un Dictionnaire du français non conventionnel en prime, le résultat ne manquerait pas d'intérêt. Je me suis amusé, dans l'une de mes fictions, à imaginer un village corrézien où tous les habitants en usaient de la sorte. Il ne figure pas sur les circuits de randonneurs, ni au bord d'une route nationale ou départementale. Si un étranger passe, ils se contentent de la langue qu'on leur a appris à l'école. Mais c'est plutôt rare. Ils ne pouvaient supposer qu'un couple égaré, devant lequel on a pris toutes les précautions souhaitables, surprendrait une conversation entre deux gamins. Que faire alors des intrus ? Je ne vais pas déflorer l'histoire. Et je ne vous dis pas les jeux linguistiques auxquels je me suis livré (j'ai la chance d'entendre les phrases que je lis, même chez les confrères).
   Pourquoi troubler un statu quo vivable pour toutes les parties en l'état ? Les filets de protection au bord des routes encaissées ont au moins l'avantage d'éviter les éboulis. J'ai fait un jour observer à Mathilde Nebelstein que je me faisais de fausses idées sur son travail. Je croyais que celui-ci consistait à ramener dans la société des hommes un être apparemment incapable de s'y acclimater. Elle m'a représenté que nous passons le plus clair de notre temps à dresser des remparts contre les intempéries, les catastrophes saisonnières et les débordements de nos semblables. Ce serait à la forme de ces remparts que l'on reconnaîtrait un groupe humain. Les remparts dressés par les pensionnaires de Morteseaux n'ont que le tort de ne pas correspondre aux bastions standard, et ne défendent que l'individu concerné. D'où notre désarroi. Nous souhaiterions que Jocelyn reconnaisse qu'il habite notre forteresse et nous donne un coup de main dans la consolidation de nos défenses communes. Elle est prête à le comprendre. Elle a développé une analogie avec les oignons, du centre à la pelure, cocon familial, bienvenus et intrus, simples relations, cité, nation, les structures devenant assez simples et rigides à mesure que l'on s'approche de la surface, si simples qu'elles peuvent être observées par les disciples d'un savant centenaire qu'on vient de porter en terre. Tout crapaud dans une gemme ne pouvant pas être rejeté, se trouve simplement relégué. Les prisons, les asiles et les quartiers difficiles répondent à une fonction. Au moins dans les asiles n'en profite-t-on pas pour établir des règles encore plus contraignantes que celles en cours. Chacun se dérobe aux règles qui ne sont pas les siennes.
   C'est déjà bien beau, dans ces conditions de fournir au réfractaire un passeport dûment tamponné. Elle n'y parvient pas toujours dans son établissement. Il a donc son viatique, il connaît la langue du pays, mais on ne peut l'embarquer de force, surtout s'il est d'un naturel casanier. Certains gestes mécaniques dont il n'a pas voulu se défaire, son refus de se livrer à d'autres activités, le timbre même de sa voix confirment sa détermination. Au moins a-t-elle tout fait pour que cette détermination ne gêne personne.
   J'entends bien, mais que deviendra-t-il quand nous ne serons plus là ?
   Elle a été grandiose, la Nebelstein. Vus nos moyens, elle n'était pas trop inquiète. Il nous suffit d'accorder une plus grosse part à celui de nos enfants qui assurera la tutelle, ainsi que la maison à laquelle il est habitué. Cette disposition étant reconductible au fil des générations si notre Jocelyn est du bois dont on fait les centenaires.
   Un fugitif éclair dans son regard m'a inspiré de légers soupçons. N'était-elle pas en train de se payer ma tête en prime ? Elle a ajouté qu'il n'y avait aucune raison de désespérer. Ni d'espérer.
   Je ne pouvais lui dire mon sentiment sur des échanges (le mot dialogue est franchement impropre, et l'expression procédure d'échanges potentiels inutilement compliquée) que je n'étais pas censé avoir surpris. On eût dit deux bâtisses se faisant face sur un terrain désolé, l'une laissant juste passer le jour par des fenêtres borgnes, la seconde avec de grandes baies sans rideaux qui découvrent des pièces sans meubles.
   Dans la vie courante, je ne suis pas sûr que Mathilde Nebelstein vive dans une demeure purement fonctionnelle qui ferait passer la bande à Gropius pour une assemblée de joyeux drilles. Les intérieurs m'ont toujours semblé significatifs et je les exploite libéralement dans mes fictions. Encore faut-il que les meubles aient une véritable présence. Comme cette commode qui m'est revenue je ne sais comment, tandis que je les observais. Une commode tout droit sortie de la baraque d'un grand oncle, dans un décrochement de couloir juste à l'entrée d'un living. Je m'y étais froissé la cuisse deux fois, pas plus. Mais il y avait là de quoi lancer ma machine à pondre. Cette commode-là était magique. Tout le monde y prenait des bleus, et personne ne se résolvait à la déplacer ne serait-ce que d'une dizaine de centimètres. C'eût été comme gâter une subtile harmonie. Elle constituait d'ailleurs un heureux pendant avec le portemanteau de l'entrée, comme l'avait constaté une visiteuse en se frottant la hanche. Et pour tout arranger, le dessus était en marbre. Ce monstre possédait en revanche une inestimable vertu. Il permettait à ceux qui s'y cognaient régulièrement d'identifier toutes les commodes auxquelles on se heurte sans s'en rendre compte, enfant difficile, importun, cousine qui produisait une sale impression va-t-en savoir pourquoi. Et tout le monde de s'écrier que bien sûr, on avait affaire à une commode. Cela comportait cependant quelques inconvénients. Le beau-frère d'une grand-tante s'était aperçu qu'il fêtait ses noces d'or avec la commode qu'il avait épousée, mais comme tout ce monde-là était de la famille, et que l'on avait fini par se rendre compte que ces commodes-là avaient leur utilité, cela s'était arrangé. Il suffisait d'éviter soigneusement les commodes dont on n'avait rien à faire. Une pochade, à mon avis. Ce n'était pas l'avis de la critique. On m'avait balancé un rhinocéros dans les pattes. Rien à voir.
   Alice ne manque pas de relever les coïncidences. Le fait que j'eusse travaillé sur un tel argument tandis que Jocelyn prenait forme dans son ventre aurait du m'inspirer comme un remords. C'est comme si je ravalais par avance Jocelyn au statut de commode à laquelle il faut bien s'habituer. En revanche, elle n'a vu aucun inconvénient à ce que je fasse de lui le sujet d'une chronique. Le jour où j'aurai envie d'y comprendre quelque chose, je mettrai un bouquin en chantier. C'est ma façon à moi de réfléchir. Il faut que l'intrigue n'ait que de lointains rapports avec l'objet de ma réflexion. Quand les phrases commencent à prendre, j'ai l'impression que ça s'éclaire.
   Ce qui me frappe, chez Mathilde Nebelstein, c'est son absence totale de commode. Ce doit être la façon dont elle exerce son métier. J'ai lu ses essais. Elle rend parfaitement abordables la terminologie et les protocoles inhérents au genre. Le style est simplement transparent. Les diagnostics sont clairs, logiques, les symptômes charpentent le raisonnement, on comprend parfaitement pourquoi certains patients souffrent, sans être tenté de partager leur douleur. J'ai l'impression qu'elle s'efforce d'épousseter soigneusement les êtres à elle confiés, elle va même jusqu'à leur offrir un strapontin pour qu'ils puissent goûter le spectacle du monde si le cœur leur en dit. Elle ne cache pas ses échecs, et n'en fait aucun mystère pour la bonne raison qu'elle ne les considère pas comme de vrais échecs. Aucun collègue ne s'est à ma connaissance manifesté pour lui faire remarquer qu'elle ne s'applique qu'à rendre supportable ce que le client ne devrait pas supporter. La petite dame a bien épousseté Jocelyn, elle nous l'a rendu bien propre. Mac Orlan écrit, dans une de ses nouvelles : "J'alignais sur un drap toutes les pièces dont l'ensemble, jusqu'à ce jour, avait constitué un appareil assez perfectionné de direction et je résolus de le remonter en utilisant une combinaison plus conforme aux exigences de la société dans laquelle je vivais". Elle répare l'appareil de direction, mais ne tient pas vraiment compte des exigences de la société dans laquelle nous vivons.
  Je n'ose penser à ce que cela pourrait donner dans un contexte différent mais aussi délicat. Ou plutôt, j'ose. Et je travaille à présent là-dessus. Ce n'est qu'une ébauche encore. J'en fais un procureur de la République. Je laisse aux Canadiens leurs procureures et leurs professeures. Et je réfléchis à une Mathilde Nebelstein bien obligée de tenir compte de la société dans laquelle elle vit. Elle sera d'autant plus efficace qu'elle ne requerra point. Elle dira les choses comme elles sont. Simplement. Elle expliquera au jury la situation, les personnages concernés, les sentiments. Elle donnera même l'impression de se mettre un instant dans la peau du prévenu au moment de l'acte. Tout le monde à côté aura l'air de parler faux. Ce ne sera même pas une oratrice. Mais toutes les béquilles de la rhétorique se briseront en sa présence. Elle n'aura pas la moindre peine à débusquer le faux témoin, l'enquêteur qui fait sa chanson et se la chante. Elle ne sera pas implacable, elle sera exacte, soulignera mieux qu'un avocat les faiblesses d'un dossier, les motifs d'un être vraiment poussé à bout (dont les réactions excessives doivent être sanctionnées), mais l'on apprendra avec elle à reconnaître les êtres vraiment toxiques. La loi doit frapper surtout les nocifs, les malfaisants comme disait Audiard. Le sujet a l'avantage de me permettre de mettre en scène... les autres, ceux qui doivent s'accommoder de cette nouvelle Némésis. Il me faudra traîner un peu dans les tribunaux, pour m'imprégner de l'atmosphère et de la cérémonie, pas trop. Il est bon de laisser de grandes plages au faiseur d'histoires. Elle essaiera d'épousseter la société où elle vit comme la vraie Mathilde Nebelstein époussette ses patients. Une tâche de plus longue haleine.
   Bref, mon personnage comprendra tout mais ne voudra rien savoir.
   Une jolie gageure.
   Et je tiens le titre : La Ménagère

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texte et dessin R.Biberfeld - 2009/2012


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